Vérité & Réconciliation

COMMISSION 1

Organisation et Méthodologie.
Exploration des Causes.
Approches des Solutions.
Audition des Personnalités.
Annexes.

 

VERITE ET RECONCILIATION.

 

INTRODUCTION.

 

Pourquoi une Commission Vérité et Réconciliation ?

Depuis l’indépendance, la société Centrafricaine est en proie à des crises profondes récurrentes qui compromettent dangereusement l’avenir des générations entières.

Même l’alternance démocratique intervenue le 22 octobre 1993, par laquelle le peuple centrafricain aspirait à l’Unité, à la Paix, à la Sécurité et aux Libertés individuelles et collectives favorables à la relance de son développement économique et social a été compromise avec les séries d’évènements politico-militaires du 18 avril 1996 au 15 mars 2003 et leurs conséquences dramatiques.

Depuis, la société centrafricaine n’a pu dégager un consensus autour des questions fondamentales de gouvernance puisque incapable de définir un système politique suffisamment crédible pour que tous les groupes sociaux et toutes les entités ethniques constitutives de la Nation en construction aient le sentiment que leurs intérêts peuvent être largement pris en compte quoiqu’ils ne contrôlent pas directement le pouvoir politique.

Comment en sommes-nous arrivés là et que faire pour qu’ ensemble nous amorcions un nouveau départ ?

Voilà autant de questions qui commandent la tenue du Dialogue National comme une réponse, une exigence.

Au lendemain de tous ces évènements, les centrafricains, unanimement éprouvent une réelle volonté de se parler franchement.

L’exigence de se parler franchement a motivé la création au sein du cadre du Dialogue National d’une Commission « Vérité et Réconciliation » à travers laquelle doivent être recherchées les causes profondes des maux qui ont plongé le pays dans ce chaos.

Dès lors, la question se pose de savoir si une étude exploratoire des causes de la situation catastrophique de la République Centrafricaine peut faire l’économie de la période pré-indépendance ?

Cette période, pan de l’histoire de notre pays quels que soient nos penchants, est dominée par un homme : Barthélémy BOGANDA, Père fondateur de la République Centrafricaine.

Cet homme, pour avoir compris très tôt que la politique est à la fois une science et un art, avait une vision globale de ce qui constituera sa politique. Une politique fondée par ailleurs sur une solide culture et une riche expérience personnelle.

L’on se souvient que pour son projet de faire des « Oubanguiens des Français à part entière », il ne cessait de revendiquer « l’égalité de tous les Blancs et Noirs devant les devoirs et devant les droits ». Aussi, il s’allia aux frères (Georges et Antoine) DARLAN pour fonder le 1er parti politique appelé l’Union Oubanguienne (O.U) qui, certes va éclater pour donner naissance à un autre Parti le Mouvement pour l’Evolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN) fondé en 1949. Son projet de société s’articule autour de trois (03) axes majeurs visant :

a)
L’émancipation du peuple Oubanguien ;    
       
b)
L’Unité Nationale ;    
 
   
c)
Les Etats Unis d’Afrique Latine.    

En somme, il rêvait d’une société fondée sur la ferme volonté d’améliorer les conditions d’existence de ses concitoyens.

Mais aujourd’hui, quatre décennies après la mort de cet illustre fils du pays, les Centrafricains constatent avec émoi que le legs de Barthélemy BOGANDA a fait école ailleurs que dans son propre pays.

La raison en est que les Chefs d’Etat Centrafricains qui se sont succédé, se sont invariablement réclamés de son héritage sans jamais l’appliquer, de sorte que de BOGANDA à nos jours, il y a une cassure nette vis à vis de ses idéaux. quelque soit leur mode d’accession au pouvoir, ces derniers ont eu en commun deux traits caractéristiques à savoir l’absence de programme politique et la gestion clanique de la chose publique. Ce qui se traduit par une volonté affichée de ne pas rendre compte au peuple.

°

1959 – 1965 : Monsieur David DACKO accède au pouvoir en 1959 au lendemain de la mort tragique du Président fondateur Barthélémy BOGANDA. Il va tenter d’appliquer une politique de développement économique et social quelque peu cohérente mais sur fond d’intimidation et de répression de ses adversaires politiques réels ou potentiels après avoir arrêté le processus démocratique amorcé par Barthélémy BOGANDA. Il instaure le MESAN comme Parti Unique et ensuite comme parti Etat.

Il en découle un marasme économique et des mécontentements sociaux qui offrent l’occasion au Colonel BOKASSA de s’emparer du Pouvoir.

   
       
°

1966 – 1979 : Le Colonel Jean-Bedel BOKASSA, Chef D’Etat Major de la première Armée nationale, s’empare du Pouvoir le 1er janvier 1966. A cette occasion il déclare : « l’heure de la justice a sonné. Votre Armée a pris le pouvoir de l’Etat ; les intérêts de la bourgeoisie compradore sont abolis… ».

Cette déclaration a séduit le peuple qui aspirait à la justice et à la liberté… Mais, BOKASSA va installer un système qui confisque le pouvoirs, bâillonne le peuple et s’accapare de toutes les richesses du pays.

Une misère effroyable secoue la société centrafricaine et engendre une contestation nationale où la jeunesse estudiantine a joué un rôle déterminant par sa lutte opiniâtre qui aboutit au renversement de BOKASSA et au retour de DACKO une nouvelle fois sur la scène politique le 20 septembre 1979 à la faveur de l’opération militaire française (BARRACUDA).

   
 
   
°
1979 – 1981 : David DACKO II, fut un régime de courte durée car DACKO sera contraint de remettre le pouvoir au Chef d’Etat Major des Armées, le Général André KOLINGBA suite aux violentes contestations de son élection, en dépit des dispositions constitutionnelles.    
 
   
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1981 – 1993 : André KOLINGBA, arrive au pouvoir et promet de remettre le pouvoir dans un délai de six mois après avoir rétabli l’ordre et la paix.

Mais ayant pris goût aux attributs du pouvoir, il décide de s’y éterniser. Pour s’adjuger une base de légitimité, il décide d’organiser cinq ans plus tard un référendum qui lie son mandat à l’adoption du projet de Constitution de 1986 qui fut adopté.

Mais très vite, il introduit une dimension ethnique et familiale dans la gestion des affaires de l’Etat (Cf. lettre ouverte du Magistrat François GUERET).

On assiste alors à l’émergence d’une catégorie d’hommes politiques véreux faisant de leur fonction un fonds de commerce.

L’Armée Nationale est divisée et une partie déviée de sa mission fondamentale qui est celle de la défense de l’indépendance nationale et de l’intégrité territoriale.

   
       
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1993 – 2003 : Ange-Félix PATASSE à la tête de son parti le MLPC, dans la mouvance du processus de démocratisation mondial, accède au pouvoir par les urnes. Il met en place une Commission d’Enquête Parlementaire aux fins de faire l’état des lieux du pays hérité du régime KOLINGBA.

La mise en œuvre des résultats de cette enquête parlementaire a servi de prétexte aux dignitaires du régime KOLINGBA de déclencher la 1ère mutinerie de 1996 somme toute corporatiste au départ pour se transformer progressivement en tribune de revendication politique avec des conséquences incalculables sur tous les secteurs de la vie nationale.

Tous les maux dénoncés sous le régime KOLINGBA connaîtront une ampleur sans précédent sous celui de PATASSE : tribalisme, népotisme, corruption, mensonge, prédation, affairisme mafieux, terrorisme d’Etat, assassinats politiques.

   
       
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15 mars 2003 à nos jours : Général BOZIZE arrive au pouvoir le 15 mars 2003 par une insurrection armée. La prise du pouvoir est mal gérée occasionnant ainsi :

· de nombreuses pertes en vies humaines,

· des destructions des biens meubles et immeubles publics et privés aussi bien à Bangui qu’à l’intérieur du pays.

· de graves manquements aux Droits de l’Homme.

Il est par ailleurs noté dans l’exercice du pouvoir :

· un déséquilibre géo-politique,

· une fragilisation du consensus au niveau de l’exécutif etc…

   

Toutes ces politiques ont contribué à aggraver la misère du peuple au point de générer une perte de confiance totale aux dirigeants.

La société centrafricaine déchirée au cours de ces années, n’a pas pu dégager un solide consensus autour des questions fondamentales de gouvernance puisque incapable de définir un système politique suffisamment crédible pour que tous les groupes sociaux, toutes les entités ethniques constitutives de la Nation centrafricaine en construction aient le sentiment que leurs intérêts peuvent être largement pris en compte même s’ils ne contrôlent pas le pouvoir politique.

L’absence de consensus et de vision commune depuis la proclamation de l’indépendance en 1960 jusqu’à cette année 2003 a fait traverser à la République Centrafricaine toute une séries des crises récurrentes : coups d’Etat, mutineries, rébellions, grèves… le tissu social a été soumis à de rudes fractures. Les centrafricaines et les centrafricains souffrent énormément dans leur chair et dans leur cœur. Ils ont perdu des personnes qui leur sont chères ainsi que des biens. L’Unité nationale, chère au Président fondateur Barthélemy BOGANDA, a volé en éclats. C’est la raison pour laquelle dans le cadre de la Commission Vérité et Réconciliation, il apparaît nécessaire de déterminer les responsabilités par époque et par régime politique.

Le peuple centrafricain tout entier est appelé à se dire la vérité en vue de se réconcilier avec lui-même. Dire la vérité pour demander pardon. Dire la vérité pour réparer ses fautes. Dire la vérité pour se réconcilier avec les autres. Dire la vérité pour contribuer au devoir de mémoire qui participe aux efforts de réconciliation véritable. Dire la vérité pour créer la rupture marquée solennellement par la repentance qui s’impose à tous les citoyens. C’est la seule voie pour les filles et les fils de Centrafrique d’être en paix avec Dieu, avec les autres, avec eux-mêmes. Le « Dialogue National » n’est pas une Cour de Justice : il n’y a ni accusateurs, ni accusés. Et personne aussi n’est tout à fait innocent ni entièrement coupable. Le « Dialogue National » ne saurait être une occasion de déballages sordides et inutiles car il vise à ramener la paix dans nos cœurs meurtris. Le « Dialogue National » se veut un lieu de pardon et de réconciliation. Il se place au-delà de la justice. Il est dans le domaine de l’amour. Car « celui qui ne peut pardonner, se contraint à ressentir chaque fois le même sentiment vide de sens qu’est la vengeance » du fait que le fondement de la réconciliation est la reconnaissance de la souffrance. « L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout ». (I Corinthien 13,4-7).

Toutes les filles et tous les fils de Centrafrique sont conviés au «Dialogue National », qu’ils soient du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest ou à l’étranger. Nous devons faire notre examen de conscience. Qui a fait quoi ? Qui a volé ? Qui a tué ? Qui a pillé ? Afin de calmer les tentions sociales qui couvent, il faudrait, à travers un mécanisme, identifier les auteurs de crimes, d’assassinats pour qu’ils puissent s’expliquer. Des centaines de familles de victimes aimeraient tout simplement savoir pourquoi les membres de leur famille ont été tués. De tels actes permettraient aux familles de victimes de tenir compte du contexte Vérité et Réconciliation afin de pardonner. Tous les principaux acteurs de la vie politique ont leur place au sein du « Dialogue National, surtout ceux qui ont assumé les hautes charges de l’Etat. Ils ont à reconnaître leurs responsabilités et faire leur « mea culpa »pour panser nos blessures ; ils ont leur mot à dire pour ramener la paix dans nos cœurs meurtris. Si nous ne nous repentons pas, si nous ne nous pardonnons pas, si nous ne nous réconcilions pas, nous ne nous en sortirons pas.